47.
Le Dr David Andrews n’avait pas quitté sa maison de Greenwich depuis l’appel de Leesey. Épuisé par le manque de sommeil, il était l’ombre de l’homme qu’il avait été avant la disparition de sa fille. Il veillait près du téléphone, s’en emparant dès qu’il sonnait, emportant de pièce en pièce avec lui le combiné portable. La nuit, il le posait sur son oreiller.
Quand on lui téléphonait, il interrompait son interlocuteur, prétextant qu’il voulait libérer la ligne au cas où Leesey rappellerait.
Sa fidèle femme de ménage, Annie Potters, qui partait en général après le déjeuner, s’attardait maintenant dans la soirée, essayant de lui faire avaler quelque chose, ne serait-ce qu’une assiette de soupe, un café et un sandwich. Il avait demandé à ses amis de ne pas encombrer sa ligne et il refusait qu’on lui rende visite. « Je préfère ne pas être obligé de soutenir une conversation », leur disait-il.
Le samedi matin, Gregg conduisit Zach Winters au bureau de Larry Ahearn, mais en assistant à l’interrogatoire que menait Larry, il s’aperçut que l’histoire de Leesey montant dans un 4 x 4 Mercedes noir tenait de moins en moins. À l’entendre, Zach avait traîné dans les environs du club pendant une demi-heure, pourtant les employés du Woodshed, qui étaient partis quelques minutes après Leesey juraient qu’ils ne l’avaient pas vu dans la rue. Il reconnut qu’il était porté sur la bouteille et qu’on l’avait fichu à la porte du Woodshed un jour où il était entré y faire la manche. Il admit qu’il en avait salement voulu à Nick DeMarco, le propriétaire, de l’avoir fait expulser, et qu’il savait que Nick possédait un 4 x 4 Mercedes noir.
Après un interrogatoire prolongé, Gregg reconduisit Zach à l’endroit où il l’avait trouvé. Exténué, il regagna directement son appartement, se coucha et dormit d’une traite jusqu’à neuf heures le dimanche matin. L’esprit plus clair, il s’habilla et prit la route pour Greenwich.
Le changement qu’il constata chez son père en une semaine était stupéfiant. Sa femme de ménage était déjà là, bien qu’elle ne vînt en principe jamais le dimanche. « Il refuse de manger, murmura-t-elle à Gregg. Il est onze heures et il n’a touché à rien depuis hier.
– Pouvez-vous nous préparer un petit déjeuner consistant, Annie ? demanda Gregg. Je vais voir ce que je peux faire. »
Après l’avoir accueilli, son père, avait regagné son fauteuil de repos dans la salle de séjour, le téléphone à portée de la main. Gregg le rejoignit et tira une chaise à côté de lui. « Papa, j’ai parcouru les rues pendant des nuits entières à la recherche de Leesey. Je ne peux plus continuer et tu ne peux pas davantage continuer comme ça. Nous n’apportons aucune aide à Leesey et nous finirons par nous détruire. J’ai vu les inspecteurs du procureur. Larry Ahearn et ses hommes font l’impossible pour retrouver Leesey. Je veux que tu viennes manger un morceau, puis nous sortirons faire un tour. Il fait un temps magnifique. » Il se leva et se pencha pour embrasser son père. « Tu sais que j’ai raison. »
David Andrews hocha la tête, puis son visage s’affaissa. Gregg l’entoura de ses bras. « Papa, je sais. Je sais. Viens, maintenant, et laisse le téléphone ici. S’il sonne nous répondrons. »
Il fut réconforté de voir son père manger la moitié de l’assiette d’œufs brouillés au bacon qu’Annie avait déposée devant lui. Gregg grignotait une tranche de pain grillé et buvait sa deuxième tasse de café quand le téléphone sonna. Son père bondit, mais il ne put atteindre le téléphone avant que s’enclenche le répondeur.
C’était la voix de Leesey. « Papa, papa, gémissait-elle, s’il te plaît, il dit qu’il va me tuer. »
Le message s’interrompit au moment où elle se mettait à sangloter.
David Andrews s’empara du téléphone, mais n’entendit que la tonalité. Ses genoux fléchirent et Gregg arriva à temps pour l’allonger dans son fauteuil de repos avant qu’il s’évanouisse.
Il prenait le pouls de son père quand la sonnerie du téléphone retentit à nouveau. C’était Larry Ahearn.
« Gregg, c’était Leesey, n’est-ce pas ? »
Gregg appuya sur la touche du haut-parleur à l’intention de son père. « Effectivement. C’était bien elle.
– Gregg, elle est en vie et nous allons la retrouver. Je te le jure. »
David Andrews s’empara du téléphone. D’une voix rauque, il s’écria : « Il faut la retrouver, Larry. Vous l’avez entendue ! Le salaud qui l’a enlevée s’apprête à la tuer. Pour l’amour du ciel, retrouvez-la avant qu’il ne soit trop tard ! »